Pierre Falardeau Tiré du journal « LE QUÉBÉCOIS », vol. 4, no. 1, février-mars 2004. -------------------------------------------------------------------------------- « Limagination est plus importante que le savoir » - A. Einstein Voilà enfin une bonne chose de faite! Claude Ryan vient de mourir. Ne reste plus quà lembaumer et à fermer le couvercle. Avec sa belle tête de sous-diacre empaillée et mangée par les mites, il naura fait, en mourant, quofficialiser une situation de fait qui perdurait depuis longtemps. Les journalistes de service, quon a plutôt tendance à confondre avec des amuseurs publics, racontent que Ryan avait sombré dans le coma six jours avant de rendre lâme. Ces chiens de garde du pouvoir, qui se prennent parfois pour le quatrième pouvoir, sont sûrement les seuls au Québec à ne pas sêtre aperçus que le pape du journalisme était déjà dans un coma profond depuis au moins quarante ans. Faut avoir soi-même un encéphalogramme à plat pour participer à une telle campagne médiatique de béatification. Faut pas craindre de se salir les mains pour oser transformer en immense penseur ce politicien encore plus ridicule dans la vraie vie que le meilleur de ses imitateurs. À écouter le choeur unanime des pleureuses professionnelles, on a limpression de nager en plein carnaval. Quoi? Un grand intellectuel ce préfet de discipline de couvent, ce père-économe de communauté de bonnes soeurs, ce petit aumônier des Dames de Sainte-Anne? On se croirait à « Juste pour rire ». Faut les voir pour le croire, ces spécialistes-maison de léloge funèbre pompeux. Comme chez tous les mauvais comédiens, leur voix étranglée par lémotion sonne faux quand ils nous parlent de la « rigueur intellectuelle » et de « lesprit de synthèse » du petit frère-directeur du journal « Le Devoir ». Ils confondent rigueur et rigorisme, synthèse, bricolage et liste dépicerie. Faut les voir avec leurs fausses gueules denterrement, empreintes dune tristesse étudiée, nous présenter ce petit gérant destrade pontifiant sous les traits dun intellectuel incontournable. À grands coups denflures verbales et de boursouflures stylistiques, ils nous le dépeignent le plus sérieusement du monde comme un des plus brillants penseurs du Québec. Cest vrai que dans ce milieu journalistique où règne une majorité de deux-de-pique et de sous-doués congénitaux, on passe facilement pour un génie quand on peut aligner deux idées, lune à la suite de lautre, dans un style aussi ennuyant que le bottin de téléphone, surtout si ce sont des idées reçues ou des idées archi-convenues. Non mais! Vous nous prenez pour des caves ou quoi? Il ny a pas une personne sur dix mille au Québec capable de me citer une seule ligne de ce pape du journalisme québécois. Si cétait un génie, ça se serait su, non? Je lis « Le Devoir » depuis quarante ans et je crois bien navoir jamais lu un seul de ses éditoriaux au style fadasse qui puaient leau bénite croupie et le canneçon-à-grands-manches mal lavé. Si « Le style cest lhomme » comme disait lautre, seul un esprit « drabe » pouvait oser écrire un livre « beige », même un peu « grisâtre » et pourquoi pas un peu « jaunasse ». Une « grande synthèse » que ce ramassis de toutes les patentes-à-gosses constitutionnelles mises au point par les nationalistes mous et les fédéralistes fatigués des cinquante dernières années. Fédéralisme renouvelé. Fédéralisme rentable. Fédéralisme coopératif. Fédéralisme asymétrique. À une vitesse. À deux vitesses. À trois vitesses. Automatique, power brake, power stering. Alouette. Des projets morts nés recyclés lannée suivante sous une nouvelle marque de commerce. Aujourdhui, on parle darrangements administratifs. Et les spécialistes des notices nécrologiques qui élèvent ce bêtisier « brun » au rang de bible nationale. Cest vraiment à souvrir les veines avec une pelle à neige. Un insignifiant traité de science-fiction politique quon tente de faire passer pour une oeuvre majeure, pour la contribution essentielle dun grand cerveau. Ce grand cerveau sent le formol à plein nez. Cest celui dun nationaliste dAncien Régime incapable de saisir lABC du système néo-colonial canadien qui a remplacé le vieux colonialisme britannique en 1867. Claude Ryan aura passé sa vie à vouloir simplement aménager le statut de protectorat canadien qui est celui du Québec à lintérieur de la Confédération. Et ces aménagements, même mineurs, même essentiellement cosmétiques, le Canada les aura refusés, à Claude Ryan et à ses disciples purs et durs, les uns après les autres depuis cinquante ans. Niet. Niet. Niet. Le statu quo, à prendre ou à laisser. Et plutôt que de tirer les conclusions politiques dun tel refus, Ryan se sera accroché à son minable catalogue de voeux pieux jusque dans sa tombe. Son testament politique, sans doute écrit dans ses six jours de coma, en fait foi. Finalement, le seul souvenir que nous laissera Claude Ryan est celui du petit politicien, mesquin et provincial, qui dirigea le camp du NON en 1980. Celui dun homme de main chargé de nous faire prendre notre trou. Comme Stéphane Dion. On sest servi de lui et de son vernis dintellectuel paroissial pour couvrir les saloperies de Trudeau, de Chrétien, de Camil Samson et du Conseil du Patronat. Et quand il a eu fini la sale job, ce puissant cerveau, on sest débarrassé de lui et de son fédéralisme renouvelé comme dune vulgaire chaussette épiscopale. Exit le Bonhomme Sept Heures. Au chômage, lépouvantail à moineaux. Comme Stéphane Dion. Des intellectuels tellement brillants quils sont incapables de comprendre le rôle quon leur fait jouer. Désolant et minable. Claude Ryan emporte dans son cercueil sa pensée politique provincialiste et criminelle. Son livre « brun » finira bien par pourrir lui aussi. Ryan aura au moins réussi sa mort, coincé dans les faits divers entre les scandales financiers du gouvernement fédéral et le racisme ordinaire de ses « partenaires » canadiens. Salut pourriture ! « Il est si commode dêtre rigoriste dans ses discours! Cela ne nuit jamais quaux autres et ne nous gêne aucunement » - Laclos |