La SQ a ouvert
une enquête
sur une mystérieuse secte satanique
en Estrie
Source : La Presse (Canada),
par Marie-Claude Lortie
--------------------------------------------------------------------------------
« Je suis née dans
une secte satanique. Dans une famille où tous les
membres devaient adorer Satan, lui porter un amour inconditionnel,
tout
faire pour lui obéir. J'ai subi des sévices dès
l'âge de trois ans et demi, j'ai été
torturée, martyrisée, violée. J'ai vu des
sacrifices d'animaux, mais aussi des
sacrifices humains... »
Humains ?
Oui. Humains », affirme
Manon sur un ton solennel.
Assis dans la cuisine d'une petite maison en Estrie, Luc Grégoire,
un
enquêteur de l'escouade des crimes majeurs de la Sûreté
du Québec, laisse
échapper un grand soupir. Ce n'est pas la première
fois qu'il entend cette
femme de 28 ans lui parler de messes noires, viols, sévices
corporels et
sacrifices. Il a entendu aussi le témoignage de plusieurs
autres personnes sur
ces macabres sujets. L'affaire lui semble très sérieuse.
« J'ai cinq personnes
qui me racontent des affaires semblables », dit-il. Grégoire
a épluché les
rapports des psychothérapeutes appelés à
évaluer chacun des cas et il a parlé
à plusieurs autres témoins.
(...)
Si Manon raconte aujourd'hui
ce qui lui est arrivé, au risque de compliquer
la tâche des policiers, c'est qu'elle espère que
tous ceux qui savent des choses
et qui pourraient témoigner, oseront briser la loi du
silence permettant à la
secte de poursuivre ses activités. Manon vit en Estrie,
dans un lieu qu'elle
veut garder secret, même si elle dit ne pas avoir peur
des représailles de cette
secte satanique qu'elle a quittée il y a cinq ans.
« Il n'y a rien qu'ils
puissent me faire qui soit pire que ce que j'ai vécu »,
dit-elle. Pire qu'être enfermée pendant une messe
noire dans un cercueil et
enterrée vivante durant de très longues minutes,
pire qu'être violée par
plusieurs hommes, pire qu'être suspendue par les pieds
au-dessus d'un trou
rempli de couleuvres noires, pire que de voir des gens torturés
ou d'avoir à
boire le sang et manger la chair des créatures sacrifiées.
« La plupart des atrocités
n'ont été épargnées à aucune
jeune femme de la
secte », explique une autre ex-membre qui refuse elle aussi
d'être nommée
mais qu'on appellera Josée, plus réticente à
raconter son histoire
publiquement. « Mais celles que Manon a subi sont pires,
explique Josée,
parce que Manon avait un rôle spécial dans la secte
».
Dès sa naissance, à
cause de la position des astres cette nuit-là, les dirigeants
de la secte avaient décidé qu'elle aurait un lien
spécial avec le démon.
D'après Manon, cette secte satanique existe depuis des
décennies au Québec.
Sa mère était impliquée bien avant que Manon
ne naisse, ayant elle-même
été entraînée par sa propre mère.
« C'est un culte, explique-t-elle, qui se
transmet par le sang. Et c'est avec leur sang aussi que les adeptes
doivent
signer le pacte obligatoire avant l'entrée à toute
messe noire, pacte par lequel
ils s'engagent à ne jamais rien dire de ce qu'ils ont
vu ou entendu durant les
cérémonies. »
« À chaque pleine
lune, explique Manon, des dizaines de personnes
s'entassent dans des sous-sols, à la campagne, et assistent
à des rituels dirigés
par des prêtres sataniques vêtus de capes de satin
noir, la tête couverte par
de grands capuchons. Selon elle, les adeptes sont nombreux. Les
messes
habituelles, au Québec, réunissaient généralement
une centaine de personnes
», dit-elle. Souvent les messes avaient lieu ailleurs que
dans sa région. Son
clan se déplaçait beaucoup pour les cérémonies
et elle se rappelle d'une
célébration de 500 personnes, au Québec.
Mais la jeune femme se souvient
aussi de messes célébrées aux États-Unis,
où
les Québécois jouaient un rôle crucial. À
la plus importante, dit-elle, il devait
bien y avoir 1500 personnes. Manon ne peut pas dire si toutes
les personnes
participant aux messes noires américaines étaient
tous des adeptes
convaincus de Lucifer. « Je suis sûre que beaucoup
de gens devaient être là
simplement par voyeurisme, pour le sensationalisme, et pour profiter
des
orgies sexuelles qui avaient lieu après les messes noires
», affirme la jeune
femme.
Selon Manon, quand on connaît
l'emprise psychologique exercée par ce
genre de sectes, il n'est pas difficile de comprendre que personne
n'en n'ait
jamais parlé publiquement. « Si on disait qu'on
allait en parler, dit-elle, on
nous répondait que personne n'allait nous croire de toute
façon, que c'était
impossible à prouver ». Et c'est sans parler de
la terreur, des menaces, du
sentiment de culpabilité, de la honte.
Quand elles ont décidé
de s'en sortir, Manon et Josée ont eu de la difficulté
à
convaincre les autorités religieuses et policières
de leur région de les prendre
au sérieux. On trouvait leur histoire trop farfelue et
personne ne voulait
croire que leurs parents puissent être coupables de choses
pareilles. « Au
début on nous répondait, 'ben voyons donc, ce sont
des gens si corrects, ils
font du bénévolat, ils vont à la messe'
», raconte Josée. D'après elle, tous les
adeptes mènent parfaitement une double vie. Plusieurs
le réussissent en
habitant à la campagne, « très loins des
voisins ». « Et puis rappelez-vous il
y a 20 ans, dit Manon. Même si les voisins avaient soupçonné
quelque chose,
par exemple qu'on était violentées, ils n'auraient
rien dit. Il y a 20 ans, dans
les campagnes, on ne dénonçait pas ce genre de
violence. »
Les deux jeunes femmes racontent
aussi qu'elles mangeaient très peu, « la
secte a plus de pouvoir sur les enfants qui ont faim »,
qu'elles ne pouvaient
pas amener ni amies ni amoureux à la maison.Toutes les
deux affirment
avoir été forcées de se prostituer, sort
qui était réservé à toutes les jeunes
filles membres de la secte. Des viols avaient lieu durant les
cérémonies,
ajoute l'autre jeune femme, mais ça continuait à
la maison aussi.
Si Manon s'en est finalement
sortie, c'est beaucoup grâce à l'aide de sa
psychothérapeute, mais aussi grâce à l'intervention
d'un prêtre, Guy Giroux,
des Frères du Sacré-Coeur à Bromptonville.
Celui-ci dit l'avoir aidée, par la
prière, à se « libérer » de
ce qu'elle avait vécu. Le frère Giroux, un homme
controversé avec qui l'archevêché de Sherbrooke
n'est pas nécessairement
toujours d'accord, croit que Manon était effectivement
aux prises avec le
démon, même s'il admet que ces questions de possession
ont toujours un fort
élément « psychologique ».
Le père Léandre
Boisvert, un théologien de l'Université de Sherbrooke
qui
étudie depuis longtemps la question des cultes sataniques,
n'a pas entendu
parler de l'histoire de Manon. Mais selon lui, elle est tout
à fait plausible. Il a
souvent entendu des témoignages semblables. « Non,
dit-il, ça ne me
surprend pas du tout. » |